Tango elliptique
Tu n'es certes plus une jeunesse
Et cependant les ans ne laissent
Aucune ride sur ton visage
Tu ne fais vraiment pas ton âge
La preuve en est que n'arrêtes
Jamais de faire des conquêtes
Mais elles n'attirent pas l'attention
Des journalistes à sensation
Pourtant il faut avouer, ma chère
Que ton apparence sévère
En décourage un certain nombre
Qui s'effarouche rien qu'à ton ombre
Si tous ceux qui te disent non
Se comptent, hélas, par légions
Tu reconnaîtras tout de même
Que tu ne fais rien pour qu'on t'aime
Hautaine, froide, indifférente
Impassible voire arrogante
Tu te promènes avec raideur
Sans chercher à toucher les coeurs
Pour t'aborder et pour s'éprendre
Il faut du courage à revendre
C'est pas que tu sois empoisonneuse
Mais tu serais plutôt épineuse
Tu refuses les beaux discours
Et si l'on veut te faire la cour
Il faut commencer par se faire
À ton bizarre vocabulaire
Loin de toi les grands sentiments
Tu n'admets que l'assentiment
Que délivre la raison pure
Ce n'est pas une sinécure
Perpétuelle insatisfaite
Tu as des plaisirs et des fêtes
Une conception peu banale
Que beaucoup jugent anormale
Mais malgré ton abord austère
Tu donnes à ceux qui persévèrent
Dans la conquête de tes appas
Bien des atouts et bien des joies
Des apparences tu fais fi
Et tu multiplies les défis
À la rigueur et l'abstraction
Et tes sublimes constructions
C'est le grand voyage dans l'inconnu
L'ivresse du jeu absolu
La jubilation ineffable
De tes preuves irréfutables
Tu ne défraies pas la chronique
De l'actualité frénétique
Car tu n'es ni un fait divers
Ni un scandale, ni une affaire
Toute science sur toi se fonde
Tu es l'interprète du monde
Car si l'Univers a des lois
Elles s'expriment par ta voix
Si je t'érige quelques vers
C'est que j'ai une dette envers
Ton inestimable férule
Je le dis sans aucun calcul
Tu es une trop grande dame
Mais y'a pas de quoi en faire un drame
Tout compte fait, t'es même sympathique
Bien que tu t'appelles Mathématique
Francis Reynès